Que nous réserve l’avenir de l’industrie du luxe dans les prochaines générations?
Reprise de l’interview donné dernièrement au magasine Luxury Society:
Jean-Noël Kapferer auteur de ‘Kapferer on Luxury, est l’expert français des marques. De renommée internationale pour ses travaux de haut niveau portant sur l’identité des marques, leurs gestions stratégiques, leurs architectures et plus récemment sur le management du prestige et du luxe.
L’avenir de l’industrie du luxe passera forcement par la France.
En atteignant en moyenne un Chiffre d’affaires de 5,1 milliards de dollars, la France reste en tête de liste. Le taux de croissance des ventes de produits de luxe par les sociétés françaises a plus que doublé, passant de 6,7% en 2014 à 14,9% en 2015. Cela s’explique en partie par des effets de change favorables, particulièrement pour les trois plus grandes multinationales : LVMH, Kering et L’Oréal Luxe. Ces trois entreprises, au Top 10, représentent plus de trois quart des ventes de produits de luxe réalisées par les sociétés basées en France.
Le célèbre magasine Luxury Society, interrogeait Jean-Noël Kapferer sur l’avenir de l’industrie du luxe sur le marché international.
Est-ce que l’industrie du luxe continuera de croître comme au cours de la dernière décennie?
Le luxe n’a jamais été créé pour répondre à de telles demandes !
Le premier challenge a dépasser, celui du succès, le tsunami de la demande mondiale de luxe, devrait concilier croissance et rareté.
Les véritables enjeux pour organiser une stratégie de rareté abondante et l’artification du luxe, montrent la voie royale.
Une partie le fera, et une autre partie ne le fera pas. Il y aura une segmentation. Évidemment, la chose amusante est que le luxe, normalement, aurait dû rester une niche, un petit secteur. Cependant, le luxe est, tout comme l’industrie automobile et l’industrie immobilière par exemple, très clairement identifié. Il n’y a aucun doute sur l’endroit où il commence et où il se termine. Dans ce dont nous parlons, – c’est-à-dire les biens de luxe personnels, le plaisir, les loisirs, etc.,- il y a un changement profond, qui n’est pas nouveau, c’est le fait que le luxe est symbolisé par les marques.
Dans le luxe, c’est le produit qui est vraiment luxueux. Que ce soit Rolls Royce, Bentley ou une autre marque, c’est un produit en lui-même luxueux. La marque est surtout imprégnée d’attributs tangibles de prestige, de glamour, de mode ou de rareté. Ces attributs permettent à la marque de couvrir des produits peu luxueux.
Seul le luxe nous donne des marges luxueuses.
Cela crée une rentabilité fantastique, et c’est pourquoi Bernard Arnault, PDG de LVMH, a déjà prononcé une phrase dont nous nous souvenons toujours:
Il est devenu l’un des secteurs les plus rentables en raison de l’effet de levier de la marque. Une fois qu’il a acquis un statut spécifique.
Le luxe est symbolisé par les marques, l’avenir de l’industrie du luxe sera assurée par les grosses marges dégagées.
Le vrai problème, est qu’il est très difficile de résister à la pression de Wall Street car, généralement, lorsque vous atteignez un volume élevé, vous n’êtes plus une entreprise familiale.
Vous avez besoin de beaucoup d’argent pour vous développer, ouvrir de nouveaux magasins partout dans le monde et aussi d’un budget conséquent pour faire du marketing.
Deux options restent plausibles,
- soit se voir coté en bourse à Wall-Street ou la Bourse de Paris et vous rejoignez le domaine public,
- ou bien, rallier un grand Groupe pour obtenir une source de liquidités. Ce qui entraînera forcement dans les deux cas une pression des investisseurs pour d’augmenter votre volume, ou au moins vos revenus, de 10% par an régulièrement.
Cette pression n’a pas de fin. Il est très difficile de dire: « Non, ne nous développons pas plus », seulement quelques-uns seront résister et dire: « D’accord je vais grandir, mais seulement en valeur, pas plus en volume ».
Pour exemple, j’ai récemment rencontré le directeur des communications de Rolls Royce pour l’Europe et il a déclaré:
L’année prochaine, nous vendrons une voiture de plus que cette année, mais nos ventes augmenteront de 20%.
Comment? Parce que toutes les Rolls Royce seront entièrement personnalisées. Et, dès que vous personnalisez une Rolls Royce, les gens sont prêts à payer 20 ou 30% de plus, ils s’en fichent.
Donc, je m’attends à ce que ce genre de segmentation émerge dans l’industrie du luxe.
Sur le sujet de LVMH – l’année dernière, leur bénéfice était de 5,6 milliards d’euros mais ils subissent toujours la pression des actionnaires pour qu’ils se développent, parce que ceux-ci exercent une contrainte pour croître continuellement.
À quel moment quelqu’un va-t-il dire: « 5,6 milliards d’euros de bénéfices suffisent, et nous devons protéger l’exclusivité de la marque »?
Personne ne peut le dire parce que LVMH est une société publique, avec beaucoup d’actionnaires.
De nombreuses marques sont devenues expertes en rareté artificielle.
Une marque créé une rareté immédiate en limitant les jours de ventes. Par exemple, quand Apple a lancé le nouvel iPhone. Il y avait des milliers de personnes faisant la queue parce qu’elles ne savaient pas combien il y aurait de premier jour. Cela n’a rien à voir avec ce que le produit est ou vaut en réalité.
Il y aura donc, je pense, un certain nombre de marques qui seront très heureuses d’attirer la demande générale massive avec ce genre de rareté artificielle. Il faudrait alerter les clients.
Par comparaison: Hermès, le fait d’attendre six mois ou plus pour avoir un sac ‘Kelly’ n’est pas dû à une rareté artificielle. Mais parce qu’ils n’ont pas assez d’artisans et cela prend un mois ou trois semaines.
C’est ce qu’on appelle un «goulot d’étranglement de la production». Et celui-ci n’est pas artificiel, mais dû en fait à l’art du produit.
Si vous demandez à un peintre: s’il peut faire une peinture en une demi-heure? Il répondra: Désolé, je ne suis pas un magasin de peinture rapide. Mais il y a des gens qui sont capables de faire ça.
Donc, je pense que nous devrons séparer le bon grain de l’ivraie. Il y a des marques qui auront une réelle rareté tandis que certaines surfent sur la vague de la rareté artificielle. Les deux feront de l’argent, mais à long terme, seul le premier survivra.